🦉 🖼 Une oeuvre d'art invisible vendue 15 000€ ?
Cogitation récente sur une news étonnante.
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Comme je commençais à vous l’expliquer, je me propose aujourd’hui d’aborder un fait d’actualité qui, vous allez le constater, donne beaucoup à penser et à s’interroger.
Vous êtes prêts ?
C’est parti ! 🙂
📺 Cogito News : l’art du vide
Cogitation récente sur une news étonnante : la vente aux enchères le 18 mai dernier d’une œuvre d’art invisible !
Rappel des faits
Produite par « l’artiste » italien Salvatore Garau - spécialisé dans “l'art du vide”- cette sculpture s’intitule « Io sono »( je suis).
L’heureux (...ou pas) acheteur qui a acquis cette œuvre pour la modique somme de 15 000 euros se voit remettre en échange un certificat de garantie et d'authenticité.
Pour accueillir l’œuvre invisible, il devra respecter plusieurs critères : la sculpture mesurant (selon l’artiste) 1,5 m2, son emplacement devra être délimité par un bandeau collé au sol dans une pièce vide d’une maison indépendante.
👉 Une première sculpture invisible de Salvatore Garau intitulée Bouddha en contemplation avait déjà été exposée au centre de la place de la Scala, à Milan, selon le même procédé : un ruban adhésif blanc collé au sol délimitait l’espace composant l'œuvre.
Les œuvres de Salvatore Garau existent donc… simplement parce qu’il l’a décrété !
Autrement dit, il suffit de dire de quelque chose (ou même de rien !) que c’est de l’art pour que ça le devienne effectivement. Mais alors, n’importe quoi peut être de l’art ?!
Faisons le point.
Les interrogations sur ce qui fait l’identité de l’art ne sont pas nouvelles.
Depuis le premier Ready-Made de Marcel Duchamp en 1914 ou la série Carré blanc sur fond blanc de Malevitch (1918), en passant par le Pop Art et l'Art Conceptuel des années 50 et 60, la définition de l’art, le rôle de l’artiste et la notion d'œuvre sont l’objet de controverses.
Dans les années 90, l’art contemporain a suscité en France un important débat sur l’identité de l’art : qu'est- ce qui relève ou ne relève pas de l’art ? qu’est-ce qui fait une œuvre d’art ?
Aujourd’hui encore le sujet crée la polémique.
George Dickie et la réponse institutionnelle
À la difficile question de la définition de l’oeuvre d’art, le philosophe américain Georges Dickie avançait une réponse “institutionnelle” :
👉 pour qu’un objet accède au rang d'œuvre d’art, il faut qu’il y ait une institution et un discours qui le décrètent. Il suffit donc que la bonne personne déclare au bon moment que c’est une œuvre d’art pour que l’objet le devienne effectivement.
Lorsque Salvatore Garau avance que son œuvre existe simplement parce qu’il l’a décrété, il semble défendre une conception proche de celle de Dickie : c’est la valeur performative du discours qui confère à l’objet son statut (ici le statut d'œuvre d’art). Et en même temps il s’éloigne de cette conception en éliminant purement et simplement la dimension institutionnelle.
C’est là que se pose la question de la légitimité du point de vue de l’artiste !
Si nous admettons que le discours d’une institution puisse avoir une valeur d’autorité, il n’en est pas de même s’agissant du regard subjectif et particulier de S. Garau.
🤔 Évidemment, on peut se demander si ce n’est pas aujourd’hui le marché de l’art qui confère aux œuvres d’art leur statut : ce serait donc le prix de vente qui “ferait l'œuvre”...
La conception de Dickie pose deux questions:
Celle de la légitimité du discours (ce discours qui décrète que “c’est une oeuvre d’art”).
Mais aussi celle des critères : les critères sur lesquels s’appuie le discours.
Un autre philosophe américain s’est emparé de cette question en cherchant à déterminer ce qui constitue l’identité d’une œuvre d’art.
Arthur Danto et la révélation Warhol
Pour Arthur Danto, les boîtes Brillo d’Andy Warhol représentent à la perfection la transformation centrale qui s’est opérée dans l’art avec l’émergence de l’art contemporain.
Rappel : Andy Warhol jouait avec les objets. Dans les boîtes Brillo c’est sous l’effet de la répétition que l’objet perd la fonction qu’il remplissait au départ en tant qu’objet de consommation courante : il s’intègre à présent à une composition artistique doté d’un sens radicalement nouveau. L’expression artistique de Warhol réside dans la multiplication des boîtes Brillo ; c’est l’effet de la répétition qui transforme notre rapport à l’objet. L’objet banal, transfiguré par l’intention de l'artiste, prend un caractère exceptionnel, sacré.
👉 Pour Danto, l’expression artistique de Warhol confirme l’idée selon laquelle ce qui fait l’identité d’une œuvre d’art n’est ni dans l’objet ni dans la perception que nous en avons : ce qui fait une œuvre d’art c’est plutôt une certaine atmosphère culturelle et théorique. C’est cette atmosphère qui constitue les objets en œuvres d’art.
Dans la conception de Danto, l'œuvre d’art est essentiellement une interprétation. Cette interprétation est indissociablement liée à un contexte historique précis qui permet aux objets d’être acceptés en tant qu'œuvre d’art.
La nature de l’art selon Danto
Selon Danto, Warhol aurait découvert la nature même de l’art : à savoir que c’est l'interprétation et non les objets qui constitue l'œuvre d’art. Et il allait même plus loin ! Selon lui, à la suite d’Andy Warhol, il n’y aurait plus d’histoire de l’art car l’art, en révélant sa véritable nature, avait rempli sa mission.
💡Danto ne disait pas que l’art n'existerait plus mais plutôt qu’on ne pouvait plus assigner à l’art une finalité de nature esthétique : la finalité de l’art s’était révélée et cette finalité était essentiellement de nature interprétative.
Art concept
Dans ce que dit A.Danto, ce qui nous permet de mieux comprendre comment une sculpture invisible a pu être vendue 15 000 euros aux enchères, c’est qu’à partir du moment où :
1️⃣ la nature de l’art ne dépend pas des objets mais de l'interprétation
et
2️⃣ la finalité de l’art n’est pas esthétique mais interprétative,
ce qui fait “l’oeuvre d’art“ tient uniquement à sa dimension conceptuelle.
Si c’est le concept qui fait l'œuvre d’art, alors le rapport à l’art change radicalement ! Notre rapport à l’art n’est plus un rapport esthétique mais un rapport purement interprétatif.
La sculpture de Salvatore Garau s’inscrit dans la droite lignée de cette conception : l’art n’a plus de finalité esthétique, plus de matérialité.
Que reste-il ? L'intentionnalité de l’artiste, ou le concept … et notre interprétation.
Ce numéro de Cogito touche déjà à sa fin, j'espère qu'il vous a plu !
Si c’est le cas, n’oubliez pas de laisser parler votre 💜 avant de partir (en cliquant sur l'un des onglets placés au début ou à la fin de l’édition).
Enfin, je tiens à dire à nouveau que je suis très heureuse de voir le nombre d’abonnés Cogito augmenter chaque jour !
Merci de m’accorder cette confiance :)
Belle semaine à tous et à très vite !
Aurore 💜🦉
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Merci pour cette analyse en profondeur ! 🙏
Je partage assez cette approche de l'art il y a longtemps que je me pose cette question qu'est ce que l'art ?je pensais être un peu isolé à avoir ce questionnement et en fait qui pourrait être dû à une méconnaissance de ma part du sujet votre approche me rassure car il permet de pouvoir affiner cette question