Chers Cogito Lecteurs,
Bienvenue dans cette nouvelle édition !
À deux jours du réveillon, alors que nombre d’entre vous s’attellent aux ultimes préparatifs et à l’achat de cadeaux de dernière minute, je suis heureuse de vous retrouver dans ce numéro spécial.
Si quelqu’un vous a transféré cette édition et que vous souhaitez vous inscrire à Cogito, c’est ici :
« Je n'ai aucune envie de parler de la littérature, de son importance, de ses valeurs. Ce que j'ai à l'esprit en ce moment, c'est une chose plus concrète : la bibliothèque. Ce mot donne, au prix que vous avez la bonté de m'accorder, une étrange note nostalgique ; car il me semble que le temps qui, impitoyablement, poursuit sa marche, commence à mettre les livres en danger. »
👉 Tels étaient les mots prononcés il y a déjà une dizaine d’années par Milan Kundera devant les mécènes de la Bnf lors de la remise du prix récompensant l’ensemble de son œuvre.
Dans son remarquable discours de remerciement, l’écrivain tchèque disait son “angoisse” face à la numérisation des livres, révélant ajouter une clause à tous ses contrats interdisant la publication de ses romans sous d’autres formes que celle traditionnelle du livre afin « qu'on les lise uniquement sur papier, non sur un écran. »
Angoisse ancienne et plus que jamais justifiée par la place grandissante qu’occupe la lecture de contenus en ligne et de livres en édition électronique dans notre quotidien.
À l’ère numérique, reste-t-il encore une place pour les livres ?
Cet objet singulier
L’année dernière, un sondage YouGov réalisé avec RealTime dressait la liste des cadeaux de Noël préférés des Français.
D’après les résultats de cette enquête, l’argent occupait la première place (29%), suivi du voyage (25%), puis du parfum (22%), des produits high-tech (21%) et enfin de la fameuse carte-cadeau (19%).
👉 Manifestement, le livre ne comptait pas en 2021 parmi les cadeaux plébiscités par les Français. Faut-il y voir une forme de désintérêt pour la lecture sur papier, voire une annonce de la probable disparition de l’objet-livre ?
« Voici une image qui, de nos jours, est tout à fait banale : des gens marchent dans la rue, ils ne voient plus leur vis à vis, ils ne voient même plus les maisons autour d'eux, des fils leur pendent de l'oreille, ils gesticulent, ils crient, ils ne regardent personne et personne ne les regarde. Et je me demande : liront-ils encore des livres ? c'est possible, mais pour combien de temps encore ? Je n'en sais rien. Nous n'avons pas la capacité de connaître l'avenir. Sur l'avenir, on se trompe toujours, je le sais. Mais cela ne me débarrasse pas de l'angoisse, l'angoisse pour le livre tel que je le connais depuis mon enfance », poursuivait en 2012, à la suite de son discours, Milan Kundera.
Si la numérisation du livre permet une plus large circulation des textes et facilite leur accès, les nouveaux usages qu’elle introduit transforment le statut du livre comme les modalités de la lecture.
👉 En français, le mot livre revêt une double signification, renvoyant d’une part à un objet écrit appartenant initialement à la culture manuscrite, puis à la culture imprimée, et d’autre part à la catégorie d’oeuvre - catégorie qui, jusqu’à nos jours, liait indissociablement la création et sa matérialité.
La numérisation des livres remet en cause les catégories associées à la notion d'œuvre que sont la singularité d’une création, l’unité d’un discours, la propriété de l’auteur, telles qu’elles étaient jusqu’alors fixées dans une forme achevée et rendue visible par l’impression sur le support matériel du livre.
L’attachement affectif au livre se double chez l’écrivain d’une angoisse plus spécifiquement intellectuelle liée à la lecture, à la réception de l'œuvre, qui renvoie plus généralement au rapport à la culture.
Comment comprendre cette angoisse ? En quoi la lecture sur écran diffère-t-elle de celle sur papier ?
Formes de lectures
Il est évident que les modalités de lecture varient selon le type de textes et selon leurs supports : nous ne lisons pas de la même manière une œuvre littéraire ou philosophique, un roman, un journal, un manuel ou une notice.
L’accès aux textes sur écran favorise une lecture discontinue et fragmentée, autrement dit une lecture de consultation caractérisée par l’efficacité, la rapidité et la facilité.
Là où la lecture numérique participe d’une accélération du temps et d’une dislocation de l’attention - permettant de faire plusieurs choses à la fois, d’extraire des bribes de texte - la lecture sur papier requiert la volonté patiente de progresser dans le texte et appelle le temps long de la réflexion.